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Aux portes de l’Inde : Samarkand

Synthèse de la conférence donnée par Lucien Kehren, docteur ès sciences, historien des Timurides

Février 1999, Centre André Malraux

Les empereurs moghols, les Grands Moghols, sont des Timurides par Bâbur, descendant de Tamerlan à la 5e génération. Celui-ci avait mené une expédition victorieuse dans le nord de l’Inde en 1398, exploit que Bâbur renouvela en 1526, inspiré par celui de son aïeul. Il y fonda sa dynastie, car il avait dû renoncer à récupérer le royaume de Samarkand occupé par les Ouzbeks. Quand les Grands Moghols règneront en Inde, ils garderont une image nostalgique de Samarkand et de ses jardins, à jamais perdus pour eux, mais dont ils s’inspireront dans leurs réalisations.
Tamerlan avait fait de Samarkand la capitale d’un immense empire conquis par la force et la diplomatie. À partir de 1370, il fit reconstruire la nouvelle ville, au sud de l’ancienne cité détruite en 1220 par Gengis Khan. Il fit ouvrir et aménager des avenues, des places, des marchés, des fontaines et fit édifier de magnifiques monuments caractérisés par la richesse de leur décoration de céramiques bleues. Les butins de guerre, mais surtout les taxes abondantes provenant de la Route de la soie – ensemble de routes du commerce qu’il contrôlait, administrativement et militairement – lui en fournissaient les moyens. À Samarkand, devenue le centre rayonnant de ce réseau de routes internationales, transitaient les caravanes de tous les pays. De l’Inde, elles arrivaient chargées de soies, de pierres précieuses et d’épices pour répondre aux demandes des marchés du Moyen-Orient, et même de l’Europe. La Samarkand timuride était considérée comme la principale « Porte de l’Inde ». Tamerlan, tant redouté à juste titre comme chef de guerre impitoyable, était aussi un grand constructeur, amateur d’arts et de jardins. Issu d’un milieu de nomades, ayant des ancêtres mongols, turcs et persans, il manifestait une prédilection pour la culture persane. Il ramenait de ses conquêtes ou faisait engager les meilleurs artisans et architectes d’Iran, d’Irak, de Syrie, d’Arménie, de Turquie, mais aussi de l’Inde qui avait des sculpteurs de pierre et de bois renommés, ainsi que des maîtres en décoration chinois, pour les faire travailler ensemble aux ouvrages destinés à l’épanouissement de sa capitale. Ce travail d’équipe interculturel aboutit à une évolution esthétique dans l’art architectural inspiré de Perse, que l’on appela la Renaissance timuride et dont les Grands Moghols s’inspirèrent en Inde.
Le mausolée des Timurides de Samarkand (appelé Gur Emir quand Tamerlan y fut inhumé) a certainement inspiré le modèle du Tâj Mahal. Le célèbre édifice présente la même disposition : un dôme majestueux coiffe l’édifice cylindrique, une grande salle d’honneur richement décorée expose les cénotaphes des défunts entourés d’une balustrade de marbre finement ouvragée (les corps étant enterrés au sous-sol), quatre minarets extérieurs encadrent l’édifice et le grand portail face à l’entrée. Le Tâj a été édifié par Shâh Jahân, de la dynastie de Bâbur, mais plus de deux cents ans après le Gur Emir. Construit en marbre blanc, alors que le Gur Emir l’est en briques émaillées, il est plus grand et plus richement orné que ce dernier, grâce aux architectes et artisans indiens, persans et européens recrutés par le Grand Moghol.

Le modèle architectural du Tâj Mahal est semblable à celui du Gur Emir malgré les deux siècles qui les séparent. C’est bien un mausolée destiné au souverain et à ses proches. Leur différence tient à la nature des matériaux, au progrès des techniques, et aux plus grandes dimensions dues sans doute au goût de Shâh Jahân pour la magnificence. L’épouse bien aimée de Shâh Jahân, Mumtâz Mahal, étant décédée la première, fut inhumée solennellement la première dans le Tâj, l’empereur qui en avait ainsi décidé, la rejoindra plus tard dans la crypte de ce mausolée sans pareil au monde.

Recueil du texte par Françoise Vernes

Lucien Kehren a publié une biographie sur Tamerlan, Payot, 1981, et La route de Samarkand au temps de Tamerlan, Imprimerie Nationale, 1990. Il est auteur d’une pièce de théâtre Büyük Timur (Tamerlan le Grand).