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L’expérience du réel

À l’occasion de la parution de l’ouvrage, Le miroir de la Conscience, du reflet à la lumière : chemin de dévoilement selon Abhinavagupta, Colette Poggi (Les Deux Océans, 2016),
conférence de Colette Poggi, indianiste, sanskritiste
27 février 2017, Centre André Malraux, Paris.

L’expérience du réel

Abhinavagupta (Xe-XIe siècles), philosophe mystique et poète, fut une figure essentielle du shivaïsme non-dualiste du Cachemire et, plus largement, du Tantra indien. Il propose une vision stimulante du réel comme miroir infini de lumière-énergie, fait de vibration et de conscience. Le shivaïsme du Cachemire non dualiste, élaboré par un ensemble de courants et d’écoles, est aujourd’hui au premier plan de la recherche des études indianistes et philosophiques et scientifiques.

Ces écoles mettent en évidence le rôle du sujet à partir duquel cette observation se fait, plutôt que l’objet à observer. Elles s’interrogent sur le substrat qui permet la vision de l’objet et reconnaissent le rôle fondamental de la conscience : le substrat est pure conscience. Sans conscience pas d’expérience du réel.

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L’Inde dans un miroir

Synthèse de la conférence donnée par Roland et Sabrina Michaud, voyageurs photographes, le lundi 13 avril 2017 au Centre André Malraux
à l’occasion de la parution de L’Inde dans un miroir, éditions Hozhoni, 2016

Une vocation de voyageur

Roland et Sabrina Michaud résument un parcours exceptionnel, soixante années de voyages accomplis dans le style des voyageurs du XIXe siècle. Pour Roland, un début à bicyclette depuis l’Auvergne natale jusqu’en Laponie où il rend visite à ses correspondants hollandais et suédois, en récompense de sa réussite au baccalauréat. Quelques années plus tard Roland rencontre Sabrina pendant son service militaire au Maroc. Roland et Sabrina désirent vivre leur rêve, l’amour des voyages. Ils décident alors d’exercer le métier de photographe. Leur première expédition commence par l’Éthiopie et se fait en 2CV. Ils arrivent en Éthiopie avec un budget de 6 mois qui devra tenir 17 mois, car «  pour faire quelque chose de bien il faut prendre son temps » affirme Roland.Vient le temps du grand voyage fondateur, la traversée de l’Asie continentale, de Paris à Singapour, avec un petit 4×4 autrichien. Le budget prévu pour un an s’étendra cette fois à plus de 4 ans grâce à l’hospitalité des habitants.Ils parcourent l’Afghanistan pendant 14 ans, inspirés par cette phrase d’André Malraux : « Et redescendant du Pamir où les chameaux perdus appellent à travers les nuages. » (Les noyers de l’Altenbourg).
Comment exprimer cette vision de l’Afghanistan par la photographie ? La réponse se trouve dans La dernière caravane (ouvrage à paraître) qui raconte l’odyssée d’une caravane, aujourd’hui disparue, qui traversait le Palmyre afghan et à laquelle Roland et Sabrina ont participé dans des circonstances exceptionnelles.

L’Inde et le thème des miroirs

En Inde, le photographe, témoin de la beauté, n’a que l’embarras du choix. Comment révéler la beauté d’une Inde intemporelle dont le continuel renouvellement nous interpelle ? Il faut faire des choix draconiens et trouver un fil conducteur.

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Ishwarchandra Vidyasagar (1820-1891), de la tradition au combat pour les femmes

Conférence donnée par France Bhattacharya, professeur émérite des universités, Inalco,
le lundi 7 novembre 2016 au Centre André Malraux, Paris

Vidyasagar (1820-1891) – La tradition au service du combat pour les femmes

Les biographies de Vidyasagar sont nombreuses. Écrites dès après sa mort et tout au long du XXe siècle, certaines louent son action en faveur des femmes, d’autres, au contraire, la blâment, mais toutes le félicitent d’avoir développé l’enseignement. Deux sont particulièrement intéressantes : son autobiographie, et la biographie écrite par son frère cadet. L’autobiographie est inachevée : elle ne comporte que quelques pages. Vidyasagar arrêta son récit quand il était âgé de 8 ans seulement, et il en consacra l’essentiel à parler de ses grands-parents, personnages hors du commun, et de son père.

Une famille traditionnelle du Bengale
Ishvarchandra Vidyasagar appartient à une famille de brahmanes pauvres, mais lettrés, du Bengale occidental. Son grand-père paternel, s’étant querellé avec ses frères après la mort de leurs parents, revêtit le costume ocre des renonçants et partit en pèlerinage, laissant sa femme, ses deux fils et ses quatre filles au foyer qu’il quittait. En butte aux tracasseries de ses belles-sœurs, Durga, la grand-mère paternelle de Vidyasagar, abandonnée par son mari pèlerin, revint au foyer de ses parents à Birsingha, village du district actuel de Midnapur (Medinipur), au sud-ouest du Bengale. Son père lui fit construire une hutte couverte de feuillage pour elle et ses enfants. Durga se procura un rouet et vécut très chichement de la vente du fil de coton qu’elle filait. Vidyasagar admirait beaucoup la force de caractère de cette grand-mère.

Un incident arrivé à son père déterminant pour son combat
Lorsque le fils aîné, nommé Thakurdas, père de Vidyasagar, eut environ 14 ans, il partit pour Calcutta afin d’y chercher un emploi. Auparavant, il avait étudié, à l’école du village, le bengali, le calcul et un peu de comptabilité. A Calcutta, il trouva asile chez un parent assez aisé qui lui fit donner des leçons d’anglais par un employé bengali du port. Finalement, Thakurdas alla vivre chez un parent de son professeur d’anglais. Cet homme rentrait très tard le soir de son travail en rapportant quelques provisions, et Thakurdas devait attendre son retour pour pouvoir cuisiner. Le logeur n’étant pas brahmane, l’adolescent ne pouvait pas manger sa cuisine. A jeun toute la journée, il avait très faim. Un jour, affamé, il marchait dans la ville. Il arriva devant une boutique où une femme d’un certain âge vendait du riz soufflé, muḍki. Il lui demanda un peu d’eau. La marchande lui en versa et, voyant son état physique, lui donna aussi une poignée de paddy soufflé, muḍki. Thakurdas, ému, en eut les larmes aux yeux. La femme lui demanda : « Petit, pourquoi pleures-tu ? » Il répondit : « Mère, je n’ai rien mangé de toute la journée. » La femme, compatissante, lui offrit une collation de riz soufflé avec du lait caillé. Elle lui dit de revenir la trouver les jours où il n’aurait pas eu à manger. Dans son autobiographie, Vidyasagar écrit qu’il tira de cet incident, arrivé à son père, un immense amour et un grand respect pour les femmes.

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Inde-Europe, une histoire connectée du XVe au XXIe siècle

À l’occasion de la publication de l’ouvrage de Jean-Louis Margolin et Claude Markovits, Les Indes et l’Europe, histoires connectées XVe-XXIe siècles (coll. Folio, Gallimard).

Conférence de Claude Markovits
23 novembre 2015, Centre André Malraux.

La circulation entre l’Inde et l’Europe et les influences réciproques qu’elle a générées s’analyse en trois périodes

I) De la fin du XVe au milieu du XVIIIe siècle

L’initiative portugaise

Pourquoi les Européens ont-ils, à la fin du XVe siècle, cherché une route maritime directe pour l’Inde et l’Asie du Sud-Est ? Ce mouvement est généralement interprété dans le cadre d’une histoire globale des Grandes Découvertes et du capitalisme. En fait, il est difficile de faire le lien entre l’histoire du capitalisme et l’arrivée des Européens en Asie. La première raison en est que le Portugal, qui prend l’initiative de découvrir une nouvelle route maritime vers les Indes, n’est pas un des centres du capitalisme européen à l’époque. C’est un petit pays marginal dont l’initiative ne peut être strictement d’ordre économique.

Les grands centres marchands sont les villes d’Italie du Nord, du Pays-Bas, en particulier les villes méridionales, et les villes d’Allemagne du Sud comme Augsbourg, siège de la maison des Fugger.

Un réseau existant depuis le XIIe siècle

Un réseau commercial organisé dès le XIIe siècle permettait d’approvisionner l’Europe en épices provenant du Kerala au sud de l’Inde, mais aussi de l’Insulinde, en particulier des Moluques (clous de girofle) et de Ceylan (cannelle). Ce circuit avait été reconfiguré au XVe siècle par les Mamelouks d’Egypte qui en avaient pris le contrôle aux dépens d’une association de marchands arabes. Des marchands indiens, essentiellement basés au Gujarat, s’étaient introduits dans ce circuit. Du côté européen, ce circuit était dominé principalement par les Vénitiens, mais aussi les Génois. Il fonctionnait bien et permettait aux marchands vénitiens d’en tirer un profit considérable malgré le grand nombre d’intermédiaires : les épices arrivaient dans les ports du Levant, à Beyrouth ou à Alexandrie, pour être emportés par les navires vénitiens vers l’Europe où ils étaient redistribués, principalement via Anvers

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Le Mahâbhârata et Battlefield (2015)

Avant la représentation de Battlefield mis en scène par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne aux Bouffes du Nord, (d’après le Mahâbhârata et la pièce de Jean-Claude Carrière, 1975), Peter Brook s’entretient avec Jean-Claude Carrière sur leur collaboration autour du Mahâbhârata et de Shakespeare (17 octobre 2015).

Le mystère humain du Mahâbhârata

Quand le Mahâbhârata a été mis par écrit, il avait déjà été conté pendant des centaines d’années dans tout le continent indien et, en Inde, explique Peter Brook, nous avons assisté à cette continuité étonnante : des conteurs par terre entourés de gens tous assis. Quand on a mis ensemble les premiers manuscrits issus des quatre coins de l’Inde, on s’est aperçu que les récits étaient plus ou moins les mêmes ; les actions parallèles varient mais l’épine dorsale demeure, le cœur est le même partout. C’est un grand mystère : serait-ce le subconscient de l’Inde qui a senti le besoin de se manifester dans ces histoires ? Aucun autre pays n’a un rapport aussi étroit avec une œuvre que le continent indien.

Le Mâhâbhârata, shakespearien ?

Quand nous avons rencontré le Mahâbhârata, nous avons été totalement convaincus de ce qui se dit en Inde encore aujourd’hui, « Ce qui n’est pas dans le Mahâbhârata n’existe nulle part ». On peut dire la même chose pour Shakespeare. Prenons l’ensemble de ses pièces, on trouve toujours quelque chose qui s’applique à toutes les situations humaines qui existent, et sa générosité est si totale qu’il donne aux plus petits personnages le maximum d’humanité. Voilà deux œuvres de l’humanité qui viennent de deux pôles séparés et qui ne se sont pas connues pour autant qu’on le sache !

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De Nehru à aujourd’hui, la naissance du « modisme »

Synthèse des deux conférences données par Éric Mookherjee, au Centre André Malraux, Paris

De Nehru à aujourd’hui
La naissance du « modisme »
(
13 octobre 2014)
&

Un combat impossible contre la démo-bureau-cratie indienne (13 avril 2015)

Un nouveau pilotage économique pour l’Inde ?

Alors que Narendra Modi avait eu des difficultés à obtenir sa nomination à la tête de son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du Peuple Indien) en septembre 2013, donc 7 mois avant les élections indiennes, il a réussi à obtenir une majorité à la Lok Sabha (la Chambre basse du parlement indien) en juin 2014, avec 50 % de sièges, ce qui n’était pas arrivé depuis trente ans.
Le BJP a gagné les élections avec le soutien du RSS, force dominante au sein du BJP. Le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh) n’est pas un parti (ni membres, ni cartes de parti) mais un mouvement organisé en groupes (médecins, infirmiers, agents de sécurité). Fondé en 1925, il revêt un aspect paramilitaire, et soutient l’idéologie hindutva, la croyance en l’hindouïté de l’Inde.
Modi s’est imposé aussi grâce aux nouvelles techniques d’images d’animation (hologrammes) qui faisaient apparaître son image virtuellement en plusieurs lieux à la fois.

Les origines de Modi
Modi grandit au Gujarat où son père est épicier et vendeur de thé ; Modi, lui-même, tient avec son grand frère une échoppe de thé dans l’une des gares d’une petite ville du Gujarat. Il accède au poste de Chief Minister du Gujarat, non par une élection mais par le remplacement de K. Patel, alors Chief Minister et dont la popularité baisse. Cette situation inquiète le BJP qui propose à Modi d’être le deputy de Patel (ministre en chef adjoint). Modi répond : « Je serai à la tête du Gujarat, entièrement responsable, ou je renonce ». Le BJP, au pied du mur, nomme Modi à la tête du Gujarat, en 2001. En février 2002, se produit l’attentat contre un train de pèlerins hindous qui entraîne des pogroms anti-musulmans. Modi s’éloigne alors de ses mentors du RSS et prend une orientation plus économique.

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La scène sacrificielle dans l’Inde védique

À l’occasion de la publication de l’ouvrage de Charles Malamoud, La Danse des pierres – Études sur la scène sacrificielle dans l’Inde ancienne (éditions du Seuil), Charles Malamoud a donné une conférence au Centre André Malraux, le 29 janvier 2007, dont voici le résumé.

Le rôle fondateur du dispositif sacrificiel

Dans la tradition indienne telle qu’elle se développe dans les Veda, textes fondateurs du brahmanisme, le sacrifice se distingue par le fait qu’il n’est pas centré sur la victime, sa souffrance ou son abnégation, en ce sens qu’elle se laisse sacrifier pour assurer le salut d’autrui. Le sacrifice est perçu avant tout comme une grille de lecture du monde, du cosmos et des rapports sociaux, interpersonnels. La victime ou l’offrande dans le sacrifice joue un rôle primordial; néanmoins l’accent n’est pas mis sur la victime, mais sur le quatuor que constituent les participants au sacrifice, à savoir le sacrifiant, les officiants, la victime ou la matière oblatoire,et la divinité. À quoi s’ajoutent les différents ingrédients de la cérémonie sacrificielle, notamment le feu et, dominant tout le reste, d’une certaine manière, la parole, celle des textes qu’il faut réciter pour que la cérémonie soit efficace. Les auteurs des textes védiques s’efforcent de comprendre l’acte rituel, la chaîne des séquences, de manière à constituer des paradigmes, mais aussi à dégager des catégories sémantiques essentielles du fonctionnement de l’esprit, comme le continu et le discontinu, la répétition et la différence, le principal et le reste, le permanent et le périssable, l’immédiat et le différé, le plein et le vide, l’implicite et le déployé, etc. Autant de catégories universelles que les auteurs indiens ne finissent pas d’explorer dans le cadre du dispositif sacrificiel.